Anne Montel, autrice et illustratrice des Jours de Pluie, ouvrage publié chez Ant Editions, a pris le temps de répondre à mes questions lors de cette interview. L’autrice dispose de plusieurs cordes à son arc et d’une bibliographie foisonnante. Bandes dessinées, livres de cuisine, romans jeunesse: ce sont tous types d’ouvrages qu’Anne Montel illustre, aussi bien en solitaire qu’en collaboration avec de nombreux autres auteurs et autrices. 

Émilie : Bonjour Anne ! Merci de répondre à mes questions aujourd’hui. En consultant votre bibliographie, on peut voir que vous avez réalisé des illustrations pour des supports divers comme des bandes dessinées, des romans illustrés, des albums jeunesse… Comment définiriez-vous votre métier ? Vous définiriez-vous comme autrice jeunesse ? 

Anne Montel : Bonjour 🙂 En effet, je travaille sur des projets de natures diverses, c’est ce qui me plaît dans ce métier. On peut totalement me définir comme autrice jeunesse, même si j’ai encore tendance à me présenter comme illustratrice. Pourtant j’écris bien mes propres textes depuis plusieurs années… mais comme je n’ai pas eu cette casquette dès le début, je n’ai pas encore adopté cet automatisme. Peut-être qu’un petit syndrome de l’imposteur traîne par ailleurs dans les parages, qui sait…

Émilie : Je vous ai personnellement découverte avec Les jours de Pluie (publié chez Ant Éditions), un livre que j’ai trouvé très doux et très poétique, que vous avez réalisé avec Loïc Clément, le scénariste. Comment fonctionne votre duo ? Participez-vous vous aussi à l’écriture des ouvrages et a contrario, Loïc Clément vous donne-t-il des consignes à suivre pour les dessins à réaliser ?

Anne Montel : Tout d’abord, merci ! C’est notre tout premier livre fait ensemble. Il a un côté OVNI, car nous l’avions abordé de manière très candide, étant chacun débutant dans l’exercice. Même si mon dessin a énormément évolué, ainsi que la manière de travailler de Loïc, il garde une place particulière dans nos cœurs.

Il y a de nombreuses façons de collaborer entre un scénariste et « son » illustrateur.ice. De mon côté, pour moi qui n’était pas de base une lectrice de BD, j’ai eu besoin d’un découpage très précis, très complet, me précisant un maximum de détails et les codes inhérents à la narration BD qui devaient s’appliquer. Désormais, avec l’expérience que j’ai acquise au fil des publications, j’ai moins besoin d’être guidée mais j’aime toujours avoir un découpage plutôt précis. Cela ne m’empêche pas de me défaire de ces indications quand j’ai des idées différentes de ce qu’avait Loïc en tête.

Pour l’écriture des scénarios, j’interviens très peu. Je crois être surtout une oreille attentive pour Loïc lors de l’élaboration, je donne mon avis et suis très peu interventionniste.

Par ailleurs nous avons d’autres collaborations totalement différentes, par exemple sur notre série Armelle et Mirko (illustrations de Julien Arnal, éditions Delcourt) où je suis l’autrice de l’histoire originale, que Loïc vient ensuite scénariste et découper, pour que Julien puisse dessiner les planches de BD.

Émilie : J’ai d’ailleurs constaté dans votre bibliographie que vous travailliez presque toujours avec des scénaristes (que ce soit avec Loïc Clément ou d’autres scénaristes). Avez-vous déjà eu envie de réaliser un projet en solitaire ? Si oui, qu’est-ce qui a suscité cette envie et où en êtes-vous de vos éventuels projets ?

Anne Montel : En effet, je n’ai collaboré qu’avec Loïc pour tout ce qui est BD. J’ai cependant travaillé avec de nombreux et nombreuses autres auteur.ices en albums jeunesse et romans.

J’ai à mon actif 2 albums jeunesse en tant qu’autrice complète, et travaille actuellement sur une bande dessinée autobiographique, où je serais donc à la fois au scénario et au dessin.

C’est assez difficile de se lancer, quand vous vivez avec quelqu’un qui fait cela, de mon point de vue, beaucoup mieux que vous 🙂

 

Émilie : À l’heure où nous réalisons cette interview, en mai 2024, une des craintes des artistes et auteurs est de voir les intelligences artificielles prendre leur place. Il est vrai que les images générées par les IA sont de plus en plus détaillées, et de plus en plus de personnes les utilisent pour illustrer leurs propos dans des tweets, des articles, et même des vidéos. En tant qu’illustratrice, avez-vous cette crainte ? 

Anne Montel : Bien entendu, c’est une crainte partagée par de nombreux et nombreuses artistes et tout à fait légitime. Je pense qu’il ne faut pas être dans la demi-mesure concernant ce sujet : c’est une vraie menace pour tout le domaine créatif. Je trouve honteuse et totalement irrespectueuse l’exploitation de l’IA en édition. Les premiers magazines et même BD entièrement illustrés via IA ont commencé à paraître, ça me débecte tout simplement.

Je vois de nombreuses personnes s’amuser avec cette technologie sur les réseaux, je pense qu’il y a un vrai défaut d’information sur le fonctionnement (le pillage du travail) et les conséquences de l’IA auprès des créateurs.

Émilie : De manière générale, êtes-vous vigilante à l’utilisation de vos illustrations et avez-vous déjà été confrontée à une utilisation abusive de votre travail ?

Anne Montel : Je l’ai toujours été, j’essaye depuis quelque temps de me calmer avec cela en prenant conscience qu’il s’agit souvent davantage d’une méconnaissance ou de maladresse que d’une réelle volonté de plagiat. On ne fixe pas tous.tes les limites au même endroit. Au début cela me rendait très en colère, désormais j’essaye de temporiser, de mieux cerner les intentions et la situation de la personne plagieuse. S’il y a commerce avec la matière créée, ça continue de me mettre très en rogne.

On est tous.tes inspiré.es de quelque chose, de quelqu’un, évidemment, mais il faut savoir mettre le curseur au bon endroit. Je ne prétends pas savoir le faire parfaitement, mais j’aimerais qu’on ait tous.tes une capacité de recul, de remise en question sur ce sujet.

Émilie : Enfin, j’avais envie de vous poser une question portant sur la perception de votre travail et de votre métier. Avez-vous déjà ressenti une différence de traitement entre les scénaristes et vous, que ce soit de la part du public ou des professionnels du livre (par exemple en salon) ? Pensez-vous qu’il y a de nos jours une sorte de hiérarchie entre les différents métiers de la création littéraire (illustrateur.ices, scénaristes, coloristes…).

Anne Montel : Bien sûr. Vivant au quotidien avec un scénariste, je peux vous assurer qu’ils sont relativement maltraités par beaucoup de professionnels du livre. Nous vivons dans un monde d’apparences où le visuel passe avant tout, et ce métier ne déroge pas à cela : on veut des images, le fond passe en second plan. C’est très triste car dans une ère de totale surproduction de livres, beaucoup sont effet très beaux, mais totalement vides de sens.

Les salons vont évidemment préférer inviter les dessinateur.ices, car le public adore avoir une belle dédicace dans le livre, tandis qu’un petit mot de l’auteur.ice ne leur fera, dans la majorité, aucun effet. J’ai déjà assisté à des lecteur.ices en dédicace qui, après avoir eu leur beau dessin dans la BD, n’ont même pas envie d’un petit mot de l’auteur.ice, pourtant juste à côté et disponible.

Quant aux maisons d’édition, elles vont en effet favoriser cette tendance et refuser carrément pour certaines de prendre en charge les déplacements des scénaristes à certaines occasions, c’est très triste. Je ne veux pas généraliser évidemment, mais travaillant avec plusieurs maisons d’édition, j’ai pu constater cette tendance de manière assez large, à diverses échelles.

Quant aux coloristes, alors là c’est carrément la 5e roue du carrosse ! Ce sont celles qui sont en fin de chaîne juste avant que le livre parte en impression et subissent donc les retards, les modifications de dernière minute, la fatigue accumulée des autres collaborateur.ices sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Pourtant, on peut constater que certains ouvrages n’ont une identité propre que par le traitement de leur couleur. Si la répartition des droits pouvait être revue, je trouverais tout à fait légitime que les coloristes aient enfin une vraie place sur le contrat, ce qui n’est absolument pas le cas à l’heure actuelle.

Émilie : Merci Anne d’avoir répondu à mes questions !

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