La loi Darcos : 3€ de frais de port minimum

Le 7 octobre 2023 entrait en vigueur la loi dite « loi Darcos ». Elle impose un tarif de frais de port minimal de 3 € pour les commandes de moins de 35 €.
Au-dessus de 35 €, les frais de port peuvent repasser au plus petit seuil possible, soit un centime.
Le texte ne concerne que les livres neufs et non les livres d’occasion. De même, le retrait en librairie reste gratuit. 

Chez Ant Editions, dans notre boutique en ligne, nous avons fait le choix de mettre 3 € pour les commandes de moins de 35 € et au-dessus, à mettre 50 centimes pour compenser les hausses postales systématiques.

 

Que penser de cette loi ?

Cette loi a été présentée comme une solution face au géant Amazon pour protéger les librairies indépendantes. Mais, à titre personnel, je pense qu’elle ne répond absolument pas à la réalité du terrain.
Si je veux envoyer un livre dans de bonnes conditions, je dépense minimum 7 €.
Cette dépense est la même si j’envoie le livre à un lecteur l’ayant acheté sur le site Ant Editions, à un libraire qui répond à une commande d’un client, à Cultura ou à la Fnac.

Si je décide de mettre les frais de port réels :
– Le client n’achètera pas car payer la moitié du livre en frais de port, ce n’est pas possible.
– Le libraire refusera de commander
– Cultura ou Fnac refuseront car cela n’entre pas dans les conditions de vente.
Donc, en mettant les frais de port réels, les livres ne seront pas vendus… Et, par conséquent, pas de droits d’auteurs non plus.

Si je mets les 3  (ce que je fais) :

Les livres sont vendus MAIS je sais que je perds 4 € de marge par livre minimum. J’aimerais mieux monter les droits d’auteurs de 2€ et garder 2€ de marge pour la structure éditoriale.

Je profite de ce sujet pour faire une parenthèse sur la commande en librairie.

Le libraire me commande un livre qu’il compte envoyer à son client.
Je paye donc 7 € pour lui l’envoyer (avec la remise + le versement des droits d’auteurs, je ne gagne rien voire même je perds des sous).
Le libraire reçoit le livre et l’envoie à son client. Il va mettre 3€ de frais de port puisque c’est lui qui vend et paiera aussi 7 €.

Sur un livre à 15 € :
– La Poste a gagné 14 €
– Le client a payé 18 €
– La marge du libraire a servi à payer les frais de port
– L’éditeur ne gagne rien
– L’auteur a ses droits d’auteurs si le contrat le permet
– L’Etat a touché sa TVA

Deux vrais gagnants seulement : la Poste et l’Etat.

Fin de la parenthèse.

Amazon, de son côté, avant ce décret, mettait 0,01 € de frais de port.
C’est clair qu’Amazon y était de sa poche mais en ressortait gagnant grâce à sa marge sur les livres, les achats d’autres produits, etc.
Là, en mettant 3 €, Amazon récupère 2,99 € sur chaque commande de livres.
Petit calcul :
Amazon vend un livre sur 10 chaque année en France.
En France, il y a 480 millions de livres vendus chaque année. On peut donc dire qu’Amazon en vend 48 millions.
On va partir sur une fourchette super basse, en virant les paniers où il y a plus d’un livre et d’autres produits…
Imaginons que « seulement » 10 millions de livres commandés seraient concernés par ce décret.
10 millions x 2,99€ de plus => quasiment 30 millions en plus dans la popoche !!!

Le décret permet donc à Amazon de gagner 30 millions d’euros sans répondre au vrai problème derrière.
 

Que faire alors ?

La solution serait d’avoir un vrai tarif des envois de livre pour tous les professionnels (auteurs, libraires, éditeurs), comme le tarif livres et brochures.

On aurait un tarif de 2 € par exemple, cela coûterait bien moins cher aux clients, cela dégagerait plus de marges, les auto-édités pourraient aussi mieux s’en sortir, idem pour tous les indépendants.

Cela répondrait aussi aux questions de mobilité (personne en situation de handicap devant se faire livrer), au maillage territorial des librairies (forcément, s’il faut se taper 30 kilomètres pour aller chez un libraire, autant se faire livrer), aux livres introuvables…

Tout le monde serait gagnant.

Il faut arrêter de penser uniquement avec le prisme « Oui mais Amazon, gnagnagna » et plutôt se dire « Pourquoi les gens vont sur Amazon plutôt que de pousser la porte de telle librairie ? »
Ant Editions a fait le choix de ne pas mettre les livres sur Amazon, mais parfois j’y songe quand je me fais claquer la porte par certains libraires ou que j’ai des lectrices/lecteurs qui me disent que le libraire ne veut pas commander les livres. Je suis depuis peu diffusé à la Fnac.
J’ai déjà plus de ventes à la Fnac que chez un libraire du secteur qui, depuis la création d’Ant Editions, a commandé en tout et pour tout un seul livre (et c’était une commande d’un client). Il n’a jamais souhaité proposer les titres en rayon et reste sourd sur les nouveautés ou d’éventuelles dates de dédicaces.
Donc, si on veut contourner le géant Amazon, ce ne sera pas avec des mesurettes. Déjà, il faut clairement un système du livre plus vertueux où auteur / éditeur / libraire s’y retrouvent et s’y retrouvent de façon équitable. Ensuite, il faut comprendre qu’en cette période d’inflation massive, la solution de faire payer encore plus les gens ne va rien apporter de bon.
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